Consultez l’édito du mois de avril 2019 !

Vieille institution, née vers le 13e siècle, l’université n’en finit pas de se transformer, à l’image de la société dont elle est partie intégrante. Remettant en question l’idée selon laquelle le scientifique aurait été autrefois dans sa « tour d’ivoire », imperméable aux problèmes du monde. Pendant de nombreux siècles la profession de savant ne fut pas reconnue en tant que telle, et nombre d’entre eux ont été amenés à travailler sur des applications techniques, voire industrielles, pour vivre, c’est-à-dire à devenir entrepreneur en valorisant le résultat de leurs travaux de recherche, s’ils ne pouvaient se placer sous la protection d’un mécène.

L’institution universitaire au sens moderne du terme apparait progressivement à partir du début du 19e siècle en Europe et aux Etats-Unis. Le métier de chercheur s’institutionnalise progressivement. En France, c’est véritablement avec la création du CNRS en 1939 que le statut de scientifique rémunéré par l’Etat est établi, manquant alors clairement une séparation entre le monde de l’industrie et celui de la science, soit avec d’une part entre la recherche fondamentale et la recherche & développement d’autre part. Cependant, la séparation n’est pas aussi nette. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, alors que le conflit militaire (comme le premier) avait permis des avancées scientifiques majeures (informatique, nucléaire, aviation, automatisme, etc.) dans le cadre de la guerre froide, l’heure était aux grands programmes publics. L’étroite relation entre l’Etat et l’industrie (qui était alors en grande partie composée d’entreprises publiques en Europe) était alors appréhendée comme une évidence, comme un signe manifeste de modernité. Dès la fin des années 1970, tout change ! L’intervention de l’Etat est fondamentalement remise en question, comme la survivance d’un passé révolu. Le nouveau slogan est désormais : tous entrepreneurs ! La science n’a pas échappée à cette évolution. Les chercheurs sont incités à produire des connaissances aux applications industrielles immédiates. Il importe de favoriser la création de spin-off universitaires. La loi Bayh-Dole aux Etats-Unis, en 1980, permet aux universités de déposer des brevets à partir de découvertes et d’inventions, qui peuvent ainsi être à l’origine de marchés grâce à la création d’entreprises. La France l’imite en 1999, avec la loi Allègre. Vingt ans plus tard, le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation estime que seulement 231 chercheurs auraient demandé l’autorisation de créer une entreprise depuis 2000, soit 0,01% des personnes travaillant dans la recherche publique chaque année[1]. Aussi la loi Allègre va être révisée dans le cadre de la loi PACTE[2] (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises), votée fin 2018, notamment grâce à l’allègement des démarches administratives.

Mais la question de la création d’entreprise par des chercheurs pose plus largement celle de la précarisation du métier de chercheur. Alors qu’avant la première révolution industrielle, nombre de savants était amené à devenir entrepreneur pour vivre, une espèce de retour aux sources est-il en train de se produire ? La création du nombre de postes de chercheurs est en baisse. Créer une microentreprise (être autoentrepreneur) serait ainsi un moyen pour exercer la profession de chercheur en multipliant les relations contractuelles avec des institutions publiques et de grandes entreprises, validant ainsi au centuple la thèse de l’open innovation !

 

Sophie Boutillier

CLERSE (UMRS-CNRS, 8019)

Université du Littoral-Côte d’Opale

Réseau de recherche sur l’innovation

Pour aller plus loin :

https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2019-1.htm

[1] https://www.economie.gouv.fr/loi-pacte-encourager-innovation-france

[2] https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte