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Le projet spatial européen, la prospective et la science-fiction

La conquête spatiale est depuis la guerre froide un enjeu de pouvoir qui arbitre les relations internationales. Dans ce cadre, l’Europe développe une politique reposant essentiellement sur les projets de l’Agence spatiale européenne (ESA). Elle a réussi à développer le lanceur Ariane, à envoyer la mission Mars Express en orbite martienne en 2003, et développe ces dernières années le programme Galileo en collaboration avec l’Union européenne (UE). Ce système de géolocalisation vise à concurrencer le GPS et à garantir l’autonomie continentale dans ce secteur. L’UE et l’ESA pourraient toutefois être amenées à se rapprocher davantage, voire à fusionner, afin de rendre le processus de décision plus efficace dans le secteur spatial. De nouveaux acteurs privés émergent depuis les débuts des années 2010. Le New Space est une nouvelle organisation provenant des États-Unis reposant sur une libéralisation de cette économie. À moyen terme, les grandes agences comme la NASA et l’ESA auront un rôle moins important, au profit d’entreprises privées. Elles envisagent la colonisation de la Lune et de Mars, l’exploitation minière des astéroïdes, le tourisme spatial, et bien d’autres activités dans un but de profit et de développement d’un capitalisme interplanétaire. Elon Musk, qui planifie de créer une ville d’un million d’habitants d’ici la fin du siècle sur Mars, parle même d’une civilisation multiplanétaire. Les Américains ont pris une avance considérable dans ce secteur, et l’Europe a intérêt à collaborer avec eux sur de nombreux projets. Toutefois, elle doit aussi penser à développer sa propre industrie, et à créer des champions continentaux capables de faire prospérer une économie spatiale à l’avenir. Pour l’heure, l’ESA est une institution intergouvernementale, qui pourrait muter vers une structure supranationale afin d’être plus efficace. Elle doit aussi s’assurer de développer un imaginaire propice à la recherche et à la conquête spatiale en Europe dans les prochaines décennies.

Si le pragmatisme est une spécificité du processus de décision dans ce secteur depuis de nombreuses années, il devient urgent d’assurer le développement d’une créativité et d’un imaginaire propices à l’élaboration de projets, de prototypes, de design fictions inspirés par la science-fiction. La jeunesse pourrait être ainsi sollicitée pour produire des fictions, dans le but de déterminer les trajectoires à adopter pour optimiser les chances de succès de l’industrie européenne à l’avenir. L’imaginaire technique est en effet un facteur important du succès d’une politique de R&D. Les ingénieurs et scientifiques se nourrissent par exemple de science-fiction pour s’inspirer et pour créer de nouveaux concepts. L’imagination, à l’origine et stimulée par l’imaginaire, est ainsi pour des penseurs comme Bachelard, Durand ou Holton à l’origine des idées scientifiques. L’imaginaire est un élément de plus en plus important de l’innovation, et l’ESA fut dès le début des années 2000 consciente de cela. Elle commande le rapport ITSF à la Maison d’Ailleurs, musée de la science-fiction suisse, afin de recueillir les concepts des œuvres de fictions, romans, films ou jeux vidéo. Le but était d’alimenter leurs chercheurs en nouvelles idées susceptibles de donner naissance à des prototypes, ou d’inspirer de nouvelles théories scientifiques.

Le design fiction est de plus en plus utilisé par les organisations pour innover. Les agences spatiales comme l’ESA sont conscientes de la nécessité de sonder et de créer des imaginaires. Pour communiquer efficacement, notamment par le storytelling, il est vivement conseillé d’exploiter l’univers et l’esthétique science-fictionnels. Le genre est en effet très populaire, comme le montrent le succès de blockbusters comme Interstellar ou Seul sur Mars. La conquête spatiale fait rêver la population, qui est motivée pour financer de nouvelles missions si elle en perçoit les applications concrètes, notamment dans des courts-métrages diffusés sur Internet. Le Luxembourg, dans la lignée des États-Unis, a souhaité une modification de la législation internationale, pour permettre l’appropriation de corps célestes par des entreprises ou des États. L’objectif est de développer à moyen terme l’exploitation des astéroïdes et une industrie spatiale qui pourraient générer des milliards d’euros de profit. À plus long terme, les métaux extraits pourraient alimenter la construction de structures de vie et le développement de villes, voire d’une civilisation sur la Lune, sur Mars, ou dans des stations spatiales, comme dans le film Valerian et la cité des mille planètes. Penser l’expansion interplanétaire de l’espèce humaine passe par un effort d’imagination que l’Europe doit encourager si elle ne veut pas passer à côté de cet enjeu majeur pour son futur proche et lointain.

Thomas Michaud, CNAM, RRI

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Thomas Michaud

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