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Février 2018, « Tiers lieux et coworking »,  par Sophie Boutillier*

Emergeant au début des années 2000, le mouvement de coworking, ou espace de travail collaboratif, trouve ses origines à San Francisco dans l’univers californien du Web 2.0. et du logiciel libre. Les espaces de coworking sont définis comme des « tiers-lieux », soit, selon la terminologie de Oldenburg (1989, 1999), des lieux qui se situent entre le lieu d’habitation et le lieu de travail, comme par exemple des cafés ou des bibliothèques où de jeunes entrepreneurs indépendants se réunissent pour monter leur projet.

Le coworking est ainsi un nouveau mode d’organisation du travail basé sur un espace de travail partagé, mis en place dans le but de favoriser les échanges et les synergies entre les coworkers, pour favoriser l’innovation. Le coworking est généralement présenté comme une véritable révolution de l’organisation du travail, comparable à celle du taylorisme et du fordisme au début du 20e siècle. Alors que le travailleur du 20e siècle était un travailleur –robot, placé dans l’incapacité de prendre des initiatives, le travailleur du 21e siècle serait un travailleur créatif, autonome, flexible et responsable travaillant dans un espace ouvert et collaboratif. Les espaces de coworking seraient ainsi des espaces de travail favorisant l’innovation, sous toutes ses formes (du produit, du processus et organisationnelle) dans une atmosphère de travail conviviale, généralement grâce à de nouveaux outils techniques, tels que les Fab.Labs et les imprimantes 3D.

Ces espaces de coworking peuvent être créés selon trois modes différents : 1/par les autorités locales d’une agglomération qui cherchent par ce moyen une solution pour redynamiser l’activité économique locale, créer des emplois et favoriser l’entrepreneuriat ; 2/ par des entrepreneurs schumpétériens qui ont décelé dans ce phénomène une opportunité entrepreneuriale ; dans la presse et sur Internet, nombre d’annonces cherchent à attirer de nouveaux coworkers grâce à des loyers bas et des espaces de travail conviviaux ; 3/ par de entreprises multinationales comme Microsoft, Google ou Pepsi, qui créent dans les grandes villes des espaces de coworking gratuits dans une stratégie d’open innovation, pour capter des idées et des innovations nouvelles. Aussi quel que soit la capacité créative des coworkers, celle-ci est captée d’une manière ou d’une autre.

Cependant, les espaces de coworking n’attirent pas uniquement des individus dotés d’une propension élevée à innover, mais également des personnes en recherche d’emploi, qui créent par ce moyen leur propre emploi. Dans ces conditions, les relations de synergie entre les coworkers sont absentes. Si l’on peut parler avec les autres coworkers de son projet à la cafétéria, le centre de coworking réunit généralement des parcours individuels indépendants les uns des autres. Les relations de synergie sont absentes.

Quelle est, dans ces conditions, la révolution créative et collaborative annoncée ? A l’image du système du louage qui avait cours au 19e siècle, avant le développement du salariat, nombre d’individus restent en quête d’un employeur hypothétique, seuls changent les moyens techniques. Les espaces de coworking se multiplient dans tous les pays pour capter la capacité d’innovation de quelques-uns, tandis que d’autres, faute d’emploi salarié, créent leur propre emploi. D’un autre côté, les entreprises fordistes n’ont pas disparu. Cette forme d’organisation du travail s’est même étendue de l’industrie aux services depuis longtemps. Dans le système productif actuel coexistent des formes d’organisation du travail passées et actuelles, comme autant de moyens de capter la valeur créée.

*Clersé, Université du Littoral Côte d’Opale / Réseau de Recherche sur l’Innovation