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Vers une utilisation éthique de la science-fiction par les entreprises

La science-fiction propose des récits futuristes dans lesquels les technologies utopiques occupent une place importante. Elles inspirent bien souvent les ingénieurs et les personnes intéressées par le design fiction dans les services de recherche et développement des entreprises technoscientifiques. Les designers sont ainsi souvent influencés par cet imaginaire, même si certains d’entre eux estiment que la science-fiction ne suffit plus à proposer des concepts créatifs et qu’il faut la dépasser par une autre pratique proche de formes d’arts plus spéculatives. Nous avons toutefois pu constater que les secteurs de la robotique, de la conquête spatiale et notamment de la planète Mars, ou militaires, par exemple des armures du futur, généraient un imaginaire foisonnant qui en retour alimentait les réflexions des chercheurs, de plus en plus conscients que la science-fiction n’est pas seulement un loisir, mais aussi un élément de prospection et de prospective sur les technologies à venir et sur les applications et les usages futurs des innovations. Ce n’est pas un hasard si le design fiction est une formule inventée par l’auteur de science-fiction cyberpunk Bruce Sterling. Avec William Gibson, il a été un des leaders d’un courant très influent dans les communautés d’informaticiens des années 1980-90 à l’origine d’Internet et des TIC.

La science-fiction a à cette époque imaginé de nombreux concepts comme le cyberspace, le métavers, les monnaies électroniques, les exosquelettes, les mondes virtuels, les usages multiples des nanotechnologies et des biotechnologies, dans la lignée, mais aussi à l’avant-garde de recherches encore balbutiantes dans les laboratoires du monde entier. Sterling et les cyberpunks imaginèrent bien souvent des technologies utopiques qui contrastaient avec la vie quotidienne de héros décadents vivant dans des sociétés dans lesquelles les multinationales avaient tous les pouvoirs. Le design fiction n’a pas la fonction de critique sociale de la science-fiction, même si certaines organisations peuvent s’en emparer pour imaginer les moyens de luttes contre des pouvoirs un peu trop aliénants. Il est davantage conçu comme un outil d’aide à l’élaboration de nouveaux concepts, de prototypes, notamment technologiques. Il retient essentiellement le côté utopique de la science-fiction, cherchant à créer des innovations et un monde meilleur, des produits potentiellement révolutionnaires et sources de rentabilité pour les entreprises qui les imaginent et les développent.

Stimuler l’imaginaire est un impératif pour les entreprises si elles ne veulent pas être condamnées à suivre les visions du monde d’acteurs dominants de l’économie globale. Toutefois, une question éthique se pose face à une utilisation débridée de l’imaginaire science-fictionnel par des entreprises avides de profit. La science-fiction est bien souvent constituée de cauchemars et de dystopies. La violence est omniprésente, le futur est parfois chaotique et il faut aux héros des qualités remarquables pour éviter des situations problématiques en raison du développement des technosciences. Il est ainsi à craindre qu’une entreprise adhère au design fiction et élabore une dystopie qu’elle chercherait à réaliser, risquant de cette manière de créer un monde négatif. Les managers et les leaders doivent être le plus positifs possible afin de créer un monde meilleur. L’imaginaire et le design fiction doivent donc être soumis à un regard critique et éthique afin d’optimiser leurs productions et de les orienter vers des réalisations favorables aux consommateurs. Ce n’est pas parce qu’une technologie utopique ou dystopique est potentiellement source de profits qu’elle doit être réalisée. La science-fiction doit être filtrée par les leaders à travers un prisme éthique et insérée dans un discours stratégique qui n’en retiendra que les éléments utiles et positifs, la purgeant des nombreux éléments négatifs et dystopiques qui caractérisent bon nombre de ses œuvres. Le design spéculatif, plus académique, pourrait bien constituer une critique du design fiction et d’une éventuelle dérive science-fictionnelle de l’imaginaire du système productif. Penser le futur avec la science-fiction est une nécessité stratégique tant cet art est créatif et  a montré ses capacités à anticiper les situations et les technologies depuis deux siècles. L’instrumentalisation du genre par des États comme la Chine et par les multinationales interroge toutefois sur les éventuelles dérives que pourrait générer un imaginaire que l’auteur Neal Stephenson a dénoncé comme dangereusement dystopique ces dernières années. Pour que la science-fiction et le design fiction demeurent intéressants pour les entreprises et pour le capitalisme, ils doivent conserver leur dimension utopique. Les consommateurs sont d’ailleurs dans l’attente de nouvelles technologies, moins polluantes, et d’un système productif plus respectueux de l’environnement. La science-fiction pourrait imaginer un monde plus écologique, grâce à la technologie. Le courant de la fiction climatique envisage déjà les aspects dystopiques du réchauffement climatique, mais aussi les solutions à cette crise majeure qui challenge le capitalisme des prochaines décennies.

Capter les critiques et propositions de la science-fiction doit faire l’objet de programmes exploratoires et prospectifs de la part des institutions qui gouvernent le monde afin de mieux anticiper et élaborer des politiques et stratégies d’avenir.

Thomas Michaud

Réseau de Recherche sur l’Innovation

Pour aller plus loin :

Science Fiction and Innovation Design  

 

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