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Pandémie et spéculation : quand l’histoire bégaye

S’il serait prématuré de dresser un bilan économique de l’épidémie de Covid-19 et du confinement, la compréhension de ce moment particulier que nous traversons peut être éclairée par les précédents tels la grippe dite espagnole de 1918-1919. D’espagnole, cette grippe n’en avait que le nom. Elle a pu être identifiée à l’Espagne car elle y fut virulente et parce que ce pays resté neutre ne censura pas les statistiques médicales. L’origine géographique du virus est controversée. L’hypothèse du centre des Etats-Unis paraît désormais privilégiée mais le nord de la France a aussi été évoqué, sans compter les cas de maladies pulmonaires constatés dès 1916. La grippe se manifesta en trois vagues : une première entre avril et juin 1918, la seconde – la plus meurtrière – de septembre à décembre, puis de nouveau en février-mars 1919. Les transports de troupes, les convois sanitaires chaotiques, le recours à la main d’œuvre étrangère, essentiellement coloniale, favorisèrent la diffusion mondiale du virus qui fit 40 à 50 millions de morts et peut-être jusqu’à 100 millions.

Comment les économies ont-elles encaissé un tel choc ? En réalité, nous ne savons rien de très ferme sur les conséquences économiques de la grande grippe de 1918-1919. Des économistes ont mesuré une baisse du PIB, de la consommation ou encore de la confiance sociale. Cependant, la difficulté d’isoler les effets de la grippe par rapport à ceux de la Grande guerre et les incertitudes sur la fiabilité du matériel statistique employé fragilisent ces résultats. Les effets ont pu beaucoup varier selon les lieux. Globalement, les gouvernements laissèrent aux autorités locales la responsabilité des mesures à prendre. Peu de villes comme Boston ou Philadelphie sur la côte nord-est des Etats-Unis fermèrent les commerces. Ailleurs, cinémas, théâtres, restaurant, cafés, transports urbains et boutiques continuèrent d’accueillir leurs clients. En France, la municipalité de Rouen, par exemple, préféra édicter des mesures de désinfection. Néanmoins, les entreprises ressentirent l’épidémie à cause de l’ampleur de l’absentéisme de leurs salariés malades ou parce qu’elles furent réquisitionnées, particulièrement les pompes funèbres.

Cette crise ne fut pas une mauvaise affaire pour quelques opportunistes. A Tours, les publicités pour des pastilles contre la toux, des antiseptiques, des savons mais aussi des boissons à la quinquina « qui fortifient les bronches et la poitrine » ou des « sous-vêtements hygiéniques contre les refroidissements » se multiplièrent dans la presse locale au plus fort de l’épidémie. A l’image des trafics actuels sur les masques ou les gels hydro-alcooliques ou de ceux de l’épidémie de choléra de 1832, la grippe espagnole favorisa la spéculation sur les produits thérapeutiques ainsi que l’apparition de remèdes à des prix exorbitants et de fausses innovations comme des vaccins miracles mais totalement inefficaces.

Certains s’aventurent à prophétiser qu’après la crise actuelle « rien ne sera plus comme avant ». L’histoire incite à être plus prudent et moins péremptoire. La grippe espagnole fut vite oubliée. Après la crise économique de 2008, certains pensèrent également que cette fois le capitalisme allait forcément devoir changer. Les fragilités qui apparaissent actuellement montrent qu’il n’en a rien été.

Par Cédric PERRIN, Lycée Grandmont à Tours, Université d’Evry Paris Saclay