Consultez l’édito du mois de novembre 2020 !

L’économie circulaire, un moyen de relocalisation et de réindustrialisation ?

Lors de sa déclaration de politique générale du 15 juillet 2015, le Premier Ministre Jean Castex a émis le constat que l’industrie française était « trop dépendante de ses partenaires extérieurs, et insuffisamment présente sur certains secteurs stratégiques ». La crise de la COVID-19 a en effet révélé plusieurs failles dans les chaines d’approvisionnement, à commencer par les ingrédients pharmaceutiques et les masques. La Chine et l’Inde produisent à eux seuls 60 à 80% des principes actifs pour les anticancéreux, les antibiotiques et les vaccins.

Dans la perspective du plan de relance, Jean Castex appelle à rebâtir « une grande nation industrielle par l’écologie ». Dès la seconde moitié des années 1970, la France a connu un mouvement de désindustrialisation, traduit par la délocalisation d’activités vers des aires géographiques (Asie du Sud-Est, Afrique du Nord, Asie) où les coûts de production étaient inférieurs. En 2012, les conclusions du rapport Pacte pour la compétitivité d’une industrie française, dit rapport Gallois, font état d’un « véritable décrochage ». La part de l’industrie en France dans la valeur ajoutée en France est passée de 18% dans les années 2000 à un peu plus de 11% en 2011, soit moins de 7 points en onze ans. L’emploi industriel et les emplois associés, en particulier dans les services, se sont également dégradés. Des régions industrielles comme le Nord-Pas-de-Calais et la Champagne-Ardenne connaissent des difficultés, même si les indicateurs sont en baisse sur tout le territoire.

La crise sanitaire agit comme un deuxième moment révélateur de la désindustrialisation. Les appels à une « renaissance industrielle » se multiplient, que ce soit en termes de gains en souveraineté, de réduction des dépendances extérieures et de sauvegarde de l’emploi. Cependant, comme l’ont démontré les débats sur la conditionnalité des aides de l’Etat aux entreprises et les propositions de la Convention Citoyenne pour le climat cette relance par la réindustrialisation ne peut se faire sans considérer les impératifs de la transition écologique. L’enjeu est de prouver que rebâtir une nation industrielle par l’écologie n’est pas antinomique. En effet, les efforts à réaliser pour tendre vers une baisse de 40% de nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, et de diminuer la pression sur les ressources non-renouvelables peuvent se traduire par des innovations pour la transition de notre système économique vers une économie plus circulaire (voir l’édito de Vence et Pereira, juin 2020).

L’économie circulaire comme moyen de réindustrialisation ? L’économie circulaire est présentée par les acteurs publics, comme l’ADEME et le Ministère de la Transition Ecologique, comme une source d’emplois pérennes et non délocalisables. Deux principes guident la transition vers une économie circulaire : faire des déchets une ressource, ce qui permet de limiter l’extraction et l’apport de matériaux neufs ; réduire les impacts à tous les stades du cycle de vie d’un produit, bien ou services. Les activités productives développées autour de l’économie circulaire seraient non-délocalisables car elles s’appuient sur la valorisation des gisements locaux, au terme de synergies développées entre des acteurs économiques d’un même territoire. Les exemples le plus souvent cités sont les activités de réemploi et de réparation : comme la réparation de vélos, qui a souvent un ancrage local et sollicite les usagers pour l’apport de leurs pièces détachées et usées.  Les activités de recyclage sont également citées. Néanmoins, deux cas devraient nous interroger. D’une part, il est possible de développer des activités de réemploi, réparation et recyclage sans s’appuyer sur des gisements locaux, comme pour l’activité de reconditionnement des moteurs de véhicules sur le site du groupe Renault à Choisy le Roi. Dans ce cas de figure, l’implantation ne compte pas ou peu, et le potentiel non-délocalisable des emplois est remis en question, on risque de se retrouver dans une stratégie industrielle où le principal critère est la rationalisation des coûts. D’autre part, en ce qui concerne les activités de réemploi ou de réparation autour d’un gisement local, souvent portées par des petites structures (PME, start-ups), l’enjeu est de développer une filière industrielle et un modèle économique pérenne. Le témoignage des entrepreneurs à l’origine de la start-up La Boucle Verte est à ce titre édifiant. En février 2020, ils annoncent la cessation de leur activité de recyclage de canettes d’aluminium, collectées dans la région toulousaine en raison du manque de débouchés, de besoins de la part des industriels et de freins réglementaires.

Dans ces deux exemples, le facteur territorial apparaît comme un facteur déterminant pour assurer la pérennité des activités liées à l’économie circulaire. La sécurisation des débouchés par des partenariats avec les industriels et entrepreneurs locaux, l’action de la collectivité locale pour soutenir, faciliter et financer les projets, le soutien des secteurs et des compétences développées sur un territoire sont autant d’éléments qui contribuent à la reconversion des secteurs industriels autour de l’économie circulaire. Des innovations et des expériences, comme l’utilisation de la chaleur fatale à Dunkerque et l’utilisation de matériaux de construction et de démolition en Plaine-Commune, sont susceptibles d’émerger dans les territoires porteurs.

Sonia Veyssière

Innovation et Stratégies Industrielles / Lab.RII – Université du Littoral Côte d’Opale et ADEME