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« Rationalité créative et innovation », par Joëlle Forest*

Depuis 15 ans le soutien financier à l’innovation par les pouvoirs publics, estimé aujourd’hui à dix milliards d’euros, a doublé en France. Ce soutien est mis au service d’une ambition nationale visant d’une part à relancer l’économie et reprendre le chemin de la prospérité dans un contexte marqué par un renforcement de la concurrence internationale et, d’autre part répondre aux grands enjeux du monde contemporain (changement climatique raréfaction des ressources, vieillissement de la population etc.,). Pour autant, un constat s’impose : la multiplication des dispositifs (on serait passé d’une trentaine de dispositifs de soutien dans les années 2000 à 62 aujourd’hui), ne produit pas les effets escomptés.

Comment faire alors pour dépasser le stade de l’injonction à innover et se doter d’une capacité effective à innover ?

Il faudra innover dans notre façon de penser l’innovation. Précisément, si en 2014 encore 70,2% des aides de l’Etat en faveur de l’innovation concerne la croissance des capacités de R&D privées c’est parce que la politique d’innovation en France demeure principalement arrimée au modèle d’innovation linéaire et hiérarchique de Schumpeter. Mais ce modèle rencontre des limites. L’enjeu est de penser l’innovation à partir de son processus central, à savoir le processus de conception. On est ainsi conduit à considérer d’autres leviers d’action possibles.

Adoptant une perspective artificialiste, il s’agit alors de mettre l’accent sur la rationalité créative. Cette dernière est la faculté de trouver du lien, de rapprocher des univers distincts que mobilisent des acteurs aussi différents que l’inventeur de la presse à imprimer Johannes Gutenberg ou plus près de nous Bertrand Piccard dans le cadre de la genèse de Solar Impulse. On comprend ainsi que la rationalité créative est une forme de pensée qui invite à la traversée des savoirs. Cette dernière est de l’ordre d’une transgression aventureuse car combiner des connaissances qui appartiennent à des univers distincts conduit à se détacher des normes et paradigmes établis comme le montre de nombreux exemples.

Pour avancer dans cette voie, la société doit s’interroger sur la capacité de son système éducatif. La confusion entre innovation et entrepreneuriat est préjudiciable : notre système est peu favorable à la traversée des savoirs, voire même « tue la créativité » pour reprendre les propos de Ken Robinson. Il faudra alors réhabiliter la rationalité créative dans le cursus de formation des ingénieurs. Cette réhabilitation invite à mettre en œuvre une « pédagogie de l’aventure » qui milite pour l’indiscipline des élèves et des enseignements et oblige à élaborer des Sciences Humaines et Sociales qui ne soient pas importées telles quelles de l’université mais prennent sens dans les écoles d’ingénieur.

Voir : Joëlle FOREST, Creative Rationality and Innovation, Smart Innovation, London, Wiley, 2017 ; http://iste.co.uk/book.php?id=1246

Cet ouvrage permet de s’émanciper de nombre de mythes qui entourent l’innovation.

* Université de Lyon, INSA Lyon