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L’innovation « responsable », axe stratégique des organisations

La convergence des crises environnementales, sociales, politiques que rencontre notre modèle de développement a intensifié, dans la dernière décennie la demande sociétale pour faire connaître l’impact social et environnemental des organisations et le réguler. Cette demande, portée par la société civile (ONG, syndicats, etc.), exige de la part de celles-ci de faire preuve de plus de responsabilité et d’engagements au profit d’un nouveau modèle de société.

D’une certaine manière, elle nous rappelle les attentes des années 1950-70 qui questionnaient le progrès scientifique et technologique (biotechnologie, chimie, maîtrise de l’atome) dans sa capacité à générer des conditions de vie meilleures pour l’humanité. La notion de « responsabilité » a ainsi évolué d’une acception dédiée à la redistribution économique et aux conditions de travail, vers un concept permettant d’analyser et évaluer l’innovation en elle-même. Nous la retrouvons depuis dans les stratégies des organisations s’inscrivant dans le mouvement de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), mouvement ayant débuté avec la seconde Révolution industrielle aux États-Unis. Sa particularité récente tient de sa capacité à s’étendre jusqu’à l’intégration des parties prenantes (ex. consommateurs, associations et ONG) qui déterminent de nouvelles règles et objectifs de développement et de fonctionnement prioritaires pour les processus de changement. Dans cette perspective, l’innovation n’est plus seulement une question de compétitivité, de profits et de concurrence individuelle ou micro-économique, elle se doit également d’agir en faveur de biens communs au sens d’Elinor Ostrom, au nom de l’intérêt général (ex. innovation sociale et environnementale) Cette mise en « responsabilité » des processus d’innovations suscite la mobilisation des institutions internationales. Nous pouvons citer deux exemples. D’une part, l’OCDE avec son programme Responsible Innovation for Personalised Health, Biotechnology, Nanotechnology and Converging Technologies. D’autre part, l’Union européenne qui s’efforce de répondre à la demande sociétale dans les orientations données aux politiques de recherche et d’innovation (ex. le programme H2020) avec le concept de « Recherche et Innovation Responsable ». Cependant, bien qu’elle ouvre de nouvelles opportunités, l’innovation « responsable » est confrontée au risque fréquent d’instrumentalisation, comme le green washing, ou aux stratégies des entreprises purement financières et court-termistes, sans réelle volonté de changer de trajectoire.

Depuis les années 2000, la communauté scientifique est également interrogée sur sa capacité à fournir des connaissances et des méthodes fiables sur les relations entre la gouvernance de l’innovation, l’investissement des entreprises et les conséquences de notre modèle de développement sur le bien-être à long terme de l’humanité dans sa globalité.

Le numéro spécial publié dans Innovations intitulé « L’innovation responsable, axe stratégique pour les organisations » permet d’en savoir davantage sur ses singularités. Les différentes contributions permettent d’identifier de nouvelles pistes de recherche à explorer.

D’abord, nous constatons que, contrairement à une innovation « standard », l’analyse d’un processus d’innovation « responsable » impose fréquemment plusieurs niveaux d’évaluation. Par exemple, en fonction du type d’organisations, des secteurs et des filières, dont la configuration peut évoluer selon les caractéristiques des territoires (ex. local, régional et national).

Ensuite, l’innovation « responsable » structure les actions collectives en repensant les collaborations interpersonnelles, en contribuant à l’émergence de nouvelles valeurs sociales tout en fixant les conditions de partage de la valeur ajoutée.

Enfin, au regard de ses dimensions multiniveaux et multi-acteurs, l’innovation « responsable » incite fortement les politiques, les scientifiques et les organisations à se doter de nouveaux outils méthodologiques pour décider, piloter le développement économique (ex. financement, évaluations, contrôle et indicateurs) au regard du renouvellement des enjeux sociétaux.

Par

Romain DEBREF[1]

Delphine GALLAUD[2]

Ludovic TEMPLE[3]

Leïla TEMRI[4]

L’innovation responsable

Innovations 2019/2 (N° 59)

 

[1] REGARDs, EA 6292, Université de Reims Champagne-Ardenne

[2] CESAER, Agrosup Dijon, Inra, Université Bourgogne Franche-Comté

[3] CIRAD, UMR INNOVATION, Université de. Montpellier

[4] MOISA, Montpellier SupAgro, INRA, CIRAD, IAMM, Université de Montpellier